Brand Hiding : pourquoi les marques se cachent-elles ?
J‘observe qu’aujourd’hui, de plus en plus de produits et services qui portaient avec fierté une grande marque puissante et reconnue choisissent de la faire disparaître. Pourquoi ?
Pourquoi cacher sa marque entreprise ?
Avant les années 2000, les consommateurs avaient besoin de s’attacher à des marques puissantes et bien établies pour se rassurer sur la qualité d’un service ou d’un produit. Le logo d’une grande marque était alors gage de qualité. Aujourd’hui, la situation s’est retournée. Les scandales sanitaires, sociaux et écologiques se sont succédé : Findus® est devenu synonyme de lasagnes au cheval, Coca-Cola® d’obésité, Shell® de désastre écologique… Même si les grandes marques travaillent aujourd’hui en profondeur leurs pratiques responsables pour devenir des « Meaningfull Brands », la perception des consommateurs à leurs égards reste en majorité négative. Ils préfèrent se tourner vers des marques plus humaines, locales et responsables. « Small is Beautiful » comme le disait Schumacher.
En conséquence, je constate qu’un phénomène structurant se développe en ce moment à grande vitesse : ce que j’appelle le Brand Hiding, c’est-à-dire cacher le fait que le produit ou le service soit vendu par une grande entreprise. Comment ? En faisant disparaître les logos des grandes marques mal perçues. Trois exemples pour illustrer mon propos : Danone®, SNCF® et Nestlé®.
Exemple 1 : La disparition de la marque ombrelle Danone®
Danone® est une marque patrimoniale française, synonyme de qualité forte. Pourtant, depuis un an, toutes les marques piliers de Danone Ultra Frais® sont redesignées avec le même constat : le logo Danone® a disparu. Je me suis demandé pourquoi enlever un symbole puissant à ces produits iconiques ?
En 2017, Danone® lançait sa nouvelle plateforme de marque entreprise « Danone, One Planet, One Health® » avec un appel à « Rejoindre la Révolution de l’Alimentation ». Quelques temps plus tard, en 2018, Emmanuel Faber, son PDG, affichait sa volonté de transformer Danone® en B-Corp®, le label d’excellence en matière de responsabilité d’entreprise. Il choisit alors une stratégie atypique de conversion au label : les marques du portefeuille Danone® doivent devenir B-corp® une par une. Aujourd’hui, de nombreuses entités de Danone® ont la certification B-Corp® et les marques de ses produits se transforment en « Manifesto Brand », porté par les Objectifs Danone 2030®. Mais que se passe-t-il pour celles qui n’arrivent pas à passer cette nouvelle marche de la responsabilité de marque ? Depuis un an, le logo Danone® disparaît des produits Activia®, Danette®, Danonino®, Taillefine®, Actimel®…, des marques qui ne sont pas encore passées B-Corp®. Mon avis est qu’en proposant encore trop de produits ultra-transformés aujourd’hui, ces marques de Danone® ne correspondent plus au cahier des charges de la marque mère — entreprise. De là à penser que certaines pourraient être vendues comme le ferait Unilever®, la question reste en suspens…
Exemple 2 : Oui aux nouvelles marques de la SNCF®
La SNCF® ? Le TGV® ? De vieilles marques d’un constructeur français de trains un peu désuètes… Ouigo® ? InOui® ? Ces noms à consonances « start-up » m’évoque des entreprises dynamiques et positives aux services plutôt efficaces.
Bien qu’Inoui® fut très moquée à sa sortie en 2017, la nouvelle marque prend petit à petit son indépendance. Dans mes journaux et en naviguant sur internet, je lis « le TGV® est de nouveau en retard » quand « Inoui® vous permet de profiter d’une expérience confortable, connectée et personnalisée » ; « la SNCF® est encore en grève et bloque la France » quand « Ouigo® vous offre des voyages en train pas chers ». On me parle pourtant bien de la même entreprise mais mon cerveau de consommateurs s‘est habitué à ce grand écart sans s’en rendre compte. Une stratégie d’entreprise qui semble plutôt gagnante. La preuve ? Sa cousine de Paris, la RATP®, connaît le même sort. Les métro, bus et autres trams de la région parisienne passent tous sous les couleurs bleues de la nouvelle marque institutionnelle « Île-de-France Mobilités® » plutôt neutre, au détriment du vert RATP® et de son logo (à l’image certes patrimoniale mais trop négative). Dira-t-on un jour « l’Île-de-France® s’excuse du retard dû aux conséquences d’un incident voyageur » ?
Exemple 3 : Les nouvelles « petites » marques de Nestlé®
Vous souvenez vous de Nesfluid® sortie en 2010 ? Nestlé®, première entreprise agroalimentaire dans le monde, était « gravée » dans le nom même de la marque avec son préfixe Nes, comme le sont Nespresso®, Nescafé®, Nestea®, NaturNes® qui ont fait et font encore le succès de l’entreprise. Pourtant, malgré des budgets de communication colossaux, la marque Nesfluid® fut abandonnée seulement un an après sa sortie. Le concept marketing de boissons promettant « une fusion des bienfaits de l’hydratation et de la nutrition » a fait vite long feu ! Force est de constater que le colosse Nestlé® essuyait un échec qui retentissait sur toutes ses marques, surtout sur sa marque mère — entreprise.
La multinationale connaît depuis longtemps des perturbations de son image. Cependant elle innove toujours et crée de nouvelles marques. Petit changement : ses nouvelles marques ne sont plus tamponnées fièrement du nom de l’entreprise suisse. Résonne alors en moi uns statistique qui m’accompagne depuis deux ans dans mon métier : 77% des Français ont confiance dans les PME vs. 28% pour les multinationales. Avez-vous vu la pub Siggi’s®, avec ce petit entrepreneur islandais à l’accent prononcé qui nous énonce, tel un Don Quichotte de la consommation, un discours contre « les yaourts artificiels et trop sucrés » ? Siggi’s®, racheté par Lactalis Nestlé Produit Frais® (LNPF sur les packagings) en 2018, fait partie de ces nouvelles marques à la posture de PME “sustainable native” du portefeuille Nestlé comme les barres végétariennes Yes® ou les céréales « avec des ingrédients d’origine naturelle » Nat®. En enlevant le logo de Nestlé®, ces nouvelles marques ne sont pas handicapées par la mauvaise perception de leur marque mère. De plus, quand on innove, il faut toujours être prêt à connaître des avaries, et autant limiter la casse sur l’image de l’entreprise… Ces marques ont moins de deux ans sur le marché français, il me semble encore difficile de savoir si elles connaîtront le succès. Et donc si Nestlé® continuera sur cette stratégie de marque cachée dans les années à venir…
Le Brand Hiding est donc une nouvelle stratégie de marques structurante pour certaines grandes entreprises. Si ce phénomène prend de l’ampleur, c’est qu’il répond aux besoins des consommateurs d’acheter des produits et services plus responsables à l’image de marque plus positive. Je pense que que là où les grandes marques étaient un gage de qualité il y a encore quelques années, elles sont devenues des institutions dont le consommateur se méfie. Dont acte : elles se cachent. Et elles continuent de vendre et d’innover, mais dans une posture de très grande humilité. Goliath® s’est transformé en David®.
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NB : Petit b.a.-ba des systèmes de marques
La pratique qui consiste à ne pas montrer son logo d’entreprise existe depuis très longtemps. On appelle « House of brands » un système associant marques filles fortes et marque mère — entreprise faible. Ce système permet de vendre plus facilement à différentes typologies de publics et marchés. De plus, les déboires d’une marque fille sont plus facilement permis car les autres marques du portefeuille sont indépendantes et n’en pâtiront pas. En revanche, cela implique une organisation d’entreprise plus silotée et un investissement plus conséquent en marketing et communication, la marque mère jouant moins son rôle de fédérateur, d’ambassadeur et de sceau de qualité.
A l’inverse, on appelle « branded house » le système de marques qui privilégie une marque mère — entreprise forte avec beaucoup de notoriété et qui domine ses marques filles. Ce système synergique permet de communiquer plus efficacement des valeurs, construit un capital confiance et crée in fine une marque de plus en plus forte. En contrepartie, si une de ses marques filles est écornée, ce sont toutes les marques qui peuvent en subir les conséquences. C’est encore plus vrai si c’est directement la marque mère qui est incriminée pour de mauvaises pratiques.
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